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Art invisuel

Introduction

L’art de nature invisuelle est un genre d’art à part entière qui existe autrement que sous forme d’oeuvre d’art, matérielle ou immatérielle.

Il s’agit de l’art comme experience et non pas comme production.

Du point de vue de l’art de nature invisuelle, l’œuvre d’art n’est pas une obligation mais seulement une option. En ce sens les limites de l’art sont plus larges que les limites de l’oeuvre d’art. Il s’agit d’une vision ouverte de l’art.

Au sein de l’art l’invisuel peuvent exister une infinité de langages, formats et mouvements.

L’invisuel n’est pas un mouvement artistique comme par exemple l’art abstrait au sein de l’art visuel. Pour éviter cette confusion il serait plus juste de parler d’art de nature invisuelle plutôt que d’art invisuel.

Il ne faut pas confondre invisuel et invisible. L’art de nature invisuelle relève d’une visibilité qui n’obéit pas aux critères de l’art visuel. L’invisuel est invisible mais seulement du point de vue de l’art visuel.

Une multitude de formats en dehors de l’œuvre d’art

L’art de nature invisuelle peut être quelque chose de très concret, de physique, de matériel, ou encore de complètement immatériel.

Au sein de l’art de nature invisuelle on peut avoir une multitude de tendances, mouvements, styles… tout comme au sein de l’art visuel on a eu plusieurs : classique, abstrait, etc.

Si l’art de nature visuelle est composé seulement d’un format unique, l’oeuvre d’art, celui de nature invisuelle englobe une infinité potentielle de formats. 

Quelques exemples de pratiques

Mariem Memni a formulé l’iformance, une forme d’art invisuel dont le but et de perturber la situation de confort de l’artiste ou d’un tout autre professionnel dans l’idée de créer quelque chose de singulier à l’échelle d’une vie. L’iformance est basée sur la déconstruction des règles qui limitent notre créativité afin de penser et d’agir en dehors des cadres établis.

Gilbert Coqalane est l’initiateur du mouvement Perturbationiste et du C.D.R.A.O. (Centre Documentation, Recherche, Application des Offensives), un lieu permettant de créer, développer et faire la promotion de la perturbation et de l’offensive comme un langage artistique.

Gary Bigot est un artiste considéré comme un des premiers artistes invisuels. Sa pratique est fondée sur l’existence et non pas sur la production. Ses principes : pas de production, pas de promotion, pas de profit, pas de propriété.

Liliane Viala est une artiste qui mène une action critique au sein d’entreprises. Elle pointe les aspects mécaniques et agonisants des employés qui se voient réduits à des simples machines de production.

Bernard Delville est un artiste qui construit des centrales éoliennes en demandant aux parents d’enfants des villages ou il construit les centrales de financer les centrales de manière à ce que lorsque les enfants deviendront adultes ils seront les propriétaires de leur propres sources d’électricité. 

François Deck est un artiste qui travaille sur les processus de décision au sein d’une esthétique de la décision.

Alexandre Gurita est un artiste à l’origine de la notion d’art invisuel. Une des dimensions de sa pratique réside dans la captation institutionnelle, action qui consiste à capter des institutions pour les convertir en institutions critiques de changement.

Elisa Bolazzi est une artiste qui agit comme une parasite, qui vole dans des musées, galeries et foires, des parties minuscules d’œuvres d’art qu’elle appelle micro éléments et qu’elle fait voir au microscope par la suite aux publics. L’artiste opère à la limite de l’invisible.

Baptiste Pays est un artiste qui a créé l’agence GSS qui propose aux artistes d’utiliser leur travail alimentaire comme un support pour leur pratique artistique. 

Sylvain Soussan est un artistes qui créé des produits et services. Il opère à travers le Musée des nuages qu travaille en rapport avec l’écologie et la nature et propose des produits et des services en rapport avec les notions de fluide et de liquide. 

John Bernad est un artiste qui organise des voyages dont la seule condition pour ses clients c’est d’écrire l’histoire de leur voyages. 

Ludovic De Vita est un artiste qui opère à travers l’IRISA (Institut de recherche internationale en anthropologie de la singularité) et interroge l’art par le prisme de la singularité comme un après l’originalité. 

Kobe Matthis est un artiste qui travaille avec le droit pour trouver des failles à explorer dans le système juridique de la propriété intellectuelle. 

Bernard Brunon est un artiste peintre en bâtiment et estime que la peinture en bâtiment est le degré ultime de la peinture. Il peint des appartements, des maison et des lieux d’art.

ALA aka Another Lazy Artist est une artiste dont la pratique consiste à tenir un journal dans lequel elle explique pourquoi elle ne produit pas d’oeuvres d’art. Sa pratique est qualifiée d’aproductive, à savoir une activité artistique sans production d’oeuvres d’art.

Véronique Hébert est une artiste chercheuse qui a créé l’Objet d’Art (Obda) le 4 février 2002, jour de la sainte Véronique. Obda désigne une activité artistique basée sur des rencontres non nécessairement perçues comme art, par l’utilisation de codes et de protocoles venant du monde de l’art. Obda engage une réflexion sur l’objet de l’art.

Marie Julie est une artiste et auteure indisciplinée indépendante. Elle joue avec les codes, les situations et les médiums toujours pour rencontrer l’autre. Diplômée d’école d’art et d’universités, elle refuse les catégories, les assignations, les définitions et travaille à rendre poreux ses champs d’investigations qui deviennent solubles dans sa praxis artistique et sa vie.

André Éric Létourneau est un manoeuvrier et artiste du patrimoine culturel immatériel. Son travail se manifeste sous forme d’expériences vécues dans le réel qui visent à faire évoluer les pratiques sociales par des expériences basées sur les méthodologies traditionnellement associées à l’art.

Ricardo Mbarkho est un artiste qui utilise l’espace géopolitique du Liban comme un support pour sa pratique artistique. Il a initié la Journée Libanaise du Tabouleh, une fête annuelle qui offre aux libanais du monde entier, généralement très divisés pour des raisons religieuses, la possibilité de partager un moment de paix par la cuisine. L’idée n’est pas nécessairement de se réunir dans un lieu physique mais de reconnaître ce lieu commun. L’oeuvre est mentale.

Carolle Sanchez est une artiste qui utilise le droit comme un format artistique. Elle a une pratique hybride qui se traduit par une transdisciplinarité, une multiplicité de recherches, de formes et de travaux.

Dans l’après l’oeuvre d’art

L’art n’a d’intérêt que s’il est associé à l’inventivité. 

Nous avons d’une part un art limité à l’art de nature visuelle, à un seul support, à l’œuvre d’art, et de l’autre, une croissance exponentielle du nombre d’artistes. La combinaison entre ces deux facteurs font que l’œuvre d’art est devenue beaucoup trop limitée et n’offre plus de possibilités créatives comme cela a été le cas dans le passé. 

L’affranchissement de l’œuvre d’art, quelque chose qui semble contre nature pour des artistes selon les dogmes de l’art visuel, est le fruit de l’impossibilité de l’art visuel c’est-à-dire de l’œuvre d’art, à répondre aux exigences des artistes et à leurs attentes en termes d’inventivité.

Se libérer de l’oeuvre d’art et donc de l’art visuel c’est plonger dans un vide prolifique. 

L’art de nature invisuelle contribue à la réinvention de l’art en offrant aux artistes une multitudes de libertés et de nouvelles perspectives. 

Parce que l’art est inséparable du travail avec l’incertitude, il n’y a qu’après l’œuvre d’art que l’artiste trouvera ces deux paramètres de travail.

L’art de nature visuelle se réduit à un seul format, quand l’art de nature invisuelle en offre une multitude. 

L’art de nature visuelle est très pauvre parce qu’il a épuisé ses ressources au fil du temps, il a fait son temps, tout comme la centrale au charbon a fait le sien, et cela bien qu’elle soit encore prédominante dans le monde. 

L’art de nature invisuelle est très riche parce qu’il offre une grande diversité d’approches, bien qu’il soit très minoritaire tout comme les énergies renouvelables dans le secteur de l’énergie.

Si l’art visuel est un totalitarisme de l’art parce qu’il lui impose une vision unidimensionnelle, l’art invisuel propose une vision multidimensionnelle de l’art.

Un nouveau paradigme de l’art

Si on compare l’art à un jeu, une fois qu’on connait toutes les combinaisons possibles du jeu, la seule chose qui reste c’est de recommencer encore et encore, c’est d’être dans une répétition, ce qui est vraiment une pure folie (appelé aussi zombie formalisme).

Si le jeu de l’art visuel a permis dans le passé d’inventer des nouvelles règles, des nouvelles combinaisons, de repousser à l’extrême les limites de l’œuvre d’art, de la construire et déconstruire dans tous les sens possibles et impossibles, aujourd’hui ses ressources en terme d’inventivité sont épuisées. La seule perspective qui reste alors pour l’art, c’est non pas de chercher des nouvelles combinaisons au sein d’un même jeu, mais tout simplement de passer à un autre jeu. De changer de paradigme. Et c’est justement ce que l’invisuel permet.

L’émergence de l’art l’invisuel est le fruit de l’impossibilité de l’art visuel a se renouveler mais aussi le fait que certaines choses anciennes arrivent à expiration et d’autres naissent. 

L’invisuel est le résultat et la suite d’une histoire qui nous précède.

L’invisuel peut être perçu aussi sous le prisme d’une diversification de l’art en cassant le monopole de la pratique unique. Ce genre d’art pose les bases d’un nouvel état d’esprit qui nous fait voir l’art d’une manière radicalement différente de ce que l’idéologie dominante nous laisse croire. En considérant que l’œuvre d’art n’est pas le seul format pour l’art et qu’il en existe plusieurs, l’art de nature invisuelle engage un nouveau paradigme, similaire à celle de la Renaissance.